mardi 2 décembre 2014

Hors sujet

**** SPOILER: ici on ne parle pas d'asile ou de discrimination, mais de harcèlement de rue****

J'écris cet article a chaud. J'ai encore les mains qui tremblent. Je sais que les personnes de mon entourage vont minimiser, me dire que j'ai exagéré. Que c'est encore mes délires chelou. Que ça arrive et c'est normal, c'est bon on va pas en faire tout un plat, ils ne m'ont ni frappée, ni violée. 

Encore un article sur le harcèlement, comme s'il n'y en avait pas assez sur la toile. 

Remarquez j'écris pas si a chaud que ça, j'ai eu quelques minutes de repos pour m'assoupir et ça m'a fait reprendre des couleurs.

Je n'ose pas utiliser le mot agression. On en était pas là, jme dis.
Aucun d'entre eux ne voulait me faire de mal en fait. L'un a commencé par me saluer.
- Bonjour
- Bonjour.
- Ca va? 
- Oui merci.
- Tu veux discuter? 
- Non merci mais je suis vraiment fatiguée..
- HEY les gars qu'est-ce qu'elle a celle la?
- Ouais elle est pas sympa

- Mais jolie comme ça elle pourrait au moins sourire!
- Hey les mecs, j'ai perdu!
- Putain moi aussi!

Ah oui, on était dans un PMU, les chevaux courraient sur le seul écran du café. Seul café du coin d'ailleurs. Et moi, seule femme du café. Et ces chevaux qui ne vont pas aussi vite que les paris l'exigent déchainent mes nouveaux amis, qui se mettent à marteler ma table, me regardent, me demandent de réagir. 

- Comment tu t'appelles?
- Alice. Mais j'ai vraiment pas envie de parler, je suis fatiguée. 
- Moi aussi je suis fatigué, mais là tu vois, t'arrives à être gentille! Tu vois quand tu peux!

Ils sont quatre, cinq à me parler. Vingt à m'entourer. Je n'ai même plus peur, je me sens juste très seule, le patron ignore la situation. Je sors, mais apprends que les personnes que je devais retrouver ne viendront pas tout de suite, au moins une demi-heure d'attente. Je m'assois dans un parking, ne sachant où aller. Rester dans le café et continuer ce cirque? Marcher dans la rue pour me réchauffer? Me planquer derrière une voiture? 

En fait, je l'écris à chaud, non pas pour dénoncer ce qu'il s'est passé. Ce sont des choses qui arrivent, tellement, mais tellement régulièrement. Je pense en fait à l'état dans lequel j'étais tout à l'heure, à mon incapacité à répondre, à réfléchir, à décider de mon propre comportement. Je pense à ma faiblesse, ou alors celle de tout humain, qui réside dans le fait d'avoir à vivre le harcèlement à répétition, de devoir se justifier, de se sentir toute petite, et de finalement prétendre n'avoir rien vécu, parce que ce genre d'évènement n'existe pas, il est normal.

A préciser: Le jour même, le collectif Stop Harcèlement de Rue, avait organisé une représentation de théâtre de rue pour sensibiliser les passants à ce phénomène. J'avais passé une heure, mégaphone en main, à faire de l'humour, alerter, sensibiliser débattre sur le sujet. 

lundi 17 novembre 2014

Bribes d'envers du décor

"Aujourd'hui je suis allé à Roissy. Encore. J'ai récupéré une famille qui est à la rue. Et un homme qui a besoin de dialyse. Urgent. 
- Normalement, les hôpitaux peuvent s'occuper de lui, même s'il n'a pas encore les papiers, il peut y aller en urgence.
- Non, ils l'ont mis à la porte. Trois hôpitaux. Et après je suis allé à la Croix Rouge. Ils ont fermé la porte. Ils n'ont pas voulu nous aider. 
- Mais c'est pas normal! 
- Non, c'est pas normal. On est seuls. Personne ne veut nous aider car nous sommes des étrangers. Toi tu sais pas ce qu'on vit là-bas, ni ce qu'on vit ici.
- Si je sais. C'est mon travail. 
- Non, tu ne sais pas. "

" Nous avons dû annuler notre partenariat avec le collège Balzac. Le directeur pensait que s'ils laissaient des migrants utiliser leurs locaux pour apprendre le français, il pouvait y avoir une épidémie d'Ebola."

"Quand je suis arrivée en France, j'avais un visa Schengen,. J'étais à l'aéroport mais la douane a pas voulu que je passe. Alors ils m'ont mise en prison. 19 jours. Mais il n'y avait pas de chauffage et c'était février. J'avais froid Alice tu sais. Et puis j'avais plus de dents, à cause de la police dans mon pays qui avait cassé.. Comme ça... Avec marteau. Je disais que j'avais le visa, mais ils me croyaient pas. Et après 19 jours, je suis sortie, comme ça. Et ils m'ont dit " vas a la préfecture" et la, les docteurs ont soigné mes dents, puis ils m'ont enfermée en quarantaine. Trois mois. J'ai appris que c'était une maladie grave, la tuberculose. Alors ma demande a du être reportée jusqu'à ce que je sois guérie. Et pendant ce temps, j'ai appris le français. Lors de l'entretien, je comprenais tout et l'agent a vu ça. Ils m'ont dit bravo. Et j'ai eu les papiers. Merci la France! J'ai été soignée et aujourd'hui je suis protégée."


"Moi je suis arrivé tout seul, j'ai rencontré Jesuite Refugee Service une association qui aide les gens comme moi, qui ne connaissent pas la France. Une famille m'a hébergée en attendant les papiers. Maintenant, je suis réfugié, ma femme et mon bébé sont arrivés et ils sont avec moi. Mais c'est dur. Je suis à l'hôtel, avec eux. La chambre est petite et on a pas le droit de faire du lait pour le bébé. Tu sais après j'ai très mal au corps. En prison, on m'a fait très mal pendant longtemps. Mes mains et mes pieds, Avec des clous... Et de l'électricité.... Mon assistante sociale dit qu'ils peuvent se porter caution pour un appartement, mais je ne trouve pas de travail... En France il faut recommencer les études et les logiciels pour la comptabilité ne sont pas les mêmes qu'en Syrie...."

*

Aux fins de la présente Convention, le terme "réfugié" s'appliquera à toute personne : (...) 2) Qui craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner."
Article 1er de la Convention de Genève, 1951.

RÉFUGIÉS(Hist. mod. politiq.2) C’est ainsi que l’on nomme les protestants français que la révocation de l’édit de Nantes a forcés de sortir de France, et de chercher un asile dans les pays étrangers, afin de se soustraire aux persécutions qu’un zèle aveugle et inconsidéré leur faisait éprouver dans leur patrie. Depuis ce temps, la France s’est vue privée d’un grand nombre de citoyens qui ont porté à ses ennemis des arts, des talents, et des ressources dont ils ont souvent usé contre elle. Il n’est point de bon Français qui ne gémisse depuis longtemps de la plaie profonde causée au royaume par la perte de tant de sujets utiles.
Encyclopédie de Diderot et d’Alembert (1752 - 1772), Anonyme, article « Réfugiés ». 


lundi 27 octobre 2014

حرية- Liberté

N. habite loin de chez moi. Elle n’a pas trente ans et n’est toujours pas mariée. Dans un pays où les femmes sont moins considérées que des chaises, ça ne peut qu’augurer un futur sombre.

N. écrit beaucoup sur sa tablette. Elle met souvent à jour son blog, et s’intéresse beaucoup aux mouvances féministes européennes, communique régulièrement avec des auteurs et journalistes célèbres en Occident pour leur lutte en faveur des Droits de l’Homme. Elle rêve de les rejoindre, de boire du thé à leurs côtés, écrire, lire, au delà d’une simple tablette, au moins un journal, si elle pouvait seulement s’attabler à un café dans une rue parisienne.

Mais N. est séquestrée chez elle depuis sept ans. Seule sa mère est au courant pour l’Ipad, et elle ne quitte jamais le domicile familiale sans un « bodyguard », à même de la surveiller sur le marché, dans la rue… Pas vraiment pour sa sécurité, mais plutôt pour qu’elle ne puisse pas de nouveau tenter de s’échapper.

N. a essayé de fuir, dans un élan de courage, ou de naïveté, il y’a sept ans. Depuis, surveillée et enfermée, sauf lorsqu’il s’agit d’aller faire une course, et encore, jamais sans ses hommes de compagnie, elle espère pouvoir un jour quitter ce pays dans lequel son existence n’est pas considérée du fait de l’absence de phallus entre ses jambes. Là bas, les femmes n’ont pas le droit de conduire une voiture, ni de faire leur propres choix. Pour les décisions de vie, telles que les voyages, les déplacement, le passage d’une frontière, les sorties… les femmes saoudiennes doivent être accompagnées d’un tuteur mâle âgé de sept ans minimum.

Intégralement voilées, les femmes ne se déplacent que pour les corvées. Elles ne peuvent librement quitter leur pays, leur ville, et doivent obéissance à leur famille. N. cherche une solution, et pense venir en France, retrouver ses amis virtuels, qui lui promettent un toit et un soutien pour une nouvelle vie. Malheureusement, elle doit trouver un moyen de quitter son pays. La fuite ? Trop risquée… Les faux-papiers ? Prison garantie. Il n’en reste qu’une : une lune de miel. Occasion rêvée de fuir. Voyager à Paris, et profiter d’un moment d’inattention d’un mari pour courir, vite, et ne plus jamais se retourner. Courir vers la maison de ses amis, les rendre réels, vers une préfecture retirer un dossier de demande d’asile, se cacher le temps que le dossier soit instruit, la demande examinée, raconter son histoire devant un agent de l’OFPRA, attendre une réponse et peut-être, au terme de mois de procédure, peut-être obtenir la protection internationale.


On verra bien…

mercredi 9 avril 2014

“Sulu Ko niŋ I ye meŋ jee, I harijewo be Jee”

 Mandika: "Si on veut, on peut".

C’est l’histoire d’un mec. Ou plutôt c’est l’histoire d’une découverte. Un peu comme la serendipicité, quand on cherche quelque chose et que l’on trouve autre chose. C’est une asso qui débute, qui est encore bébé et qui rencontre ce mec. Ce mec, il est noir, anglophone, et il vient tout juste d’obtenir un statut de protection de la part de la France qui lui permet de vivre sans menace ni persécutions. On est en février 2013, il caille et trois jeunes naifs se sont mis en tête de changer le monde. Je fais partie de ces trois là. Je rencontre F.

F. suit des cours en tutorat, j’organise ces cours. Mais il ne progresse pas. Rien à faire, le cœur n’y est pas. Après quatre ou cinq cours, sa tutrice me dit qu’il n’est pas rigoureux, pas sérieux, n’apprend pas… F. est triste, il sent bien qu’il n’y arrive pas.  On lui demande, en anglais :

-       Pourquoi ça ne marche pas ?
-       J’ai eu un entretien ce matin avec Pôle Emploi. Ils m’ont proposé un travail de mise en rayon… Encore. Je ne parle bien assez bien français, et de toute façon en France, je ne pourrai jamais exercer mon métier, ce pour quoi j’ai étudié…
-       Et qu’as-tu étudié ?
-       Je suis diplômé d’Oxford en comptabilité. Dans mon pays, j’ai pris l’initiative d’organiser la construction de cliniques infantiles, pour combattre la culture vaudou qui incite les femmes à se priver de soins médicaux pour les accouchements, j’ai travaillé en partenariat avec l’UNICEF, et je travaillais aussi comme expert comptable de mon côté.

Et bam. Je comprends sa détresse. F. est seul, loin de sa famille, de ses repères, et professionnellement inutile. Il ne lui reste que ce cours de français où il peine à apprendre le passé composé.

« Si tu parles français, tu pourras passer des entretiens pour être comptable ici aussi. Si on te trouve un stage, tu penses que tu peux y arriver ?
-       Oui je vais tout faire pour.

Trois mois plus tard, il fait meilleur et F. est comptable. C’est difficile, les logiciels français ne sont pas les mêmes que les logiciels anglo-saxons, mais il est heureux. F. retrouve le sourire, il fait ce qu’il aime.  Et les trois jeunes naifs ont compris que c’est en révélant le potentiel et le talent des gens qu’ils vont s’épanouir, contribuer, collaborer et enrichir le monde. Il essayent.


Malgré la solitude, malgré les remarques racistes de ses collègues, malgré les drames qui ont pavé sa vie, à chaque fois que je vois F. il sourit. C’est déjà ça.  

mardi 18 mars 2014

"Quel voile mettre sur ses discours après n'en avoir plus laissé sur sa personne?" (Pierre Choderlos de Laclos)

Singa bosse avec une soixantaine de ‘bénéficiaires’. Un bénéficiaire, c’est un réfugié dans notre langage. Un type ou une nana qui est protégé par la France, parce que s’il rentre chez lui, et ben… il peut mourir. Derrière le mot bénéficiaire, il y a tout un tas de subtilités. Il y a une culture. Par exemple, Madame M. m’a dit l’autre jour : « oui mais vous les français, il faut toujours vous prévenir qu’on vient, ou prendre rendez-vous ».

Il y a un mode de vie. Quand on débarque de Somalie, où la technologie la plus avancée que l’on ait connue, c’est une voiture, et qu’on nous balance dans la Gare du Nord, au niveau du RER B, et qu’en plus faut prendre l’escalator, qui apparaît plus comme un serpent magique qu’un outil, on flippe.

Quand on est habitué à aller travailler au champs avec ses enfants sur le dos, que l’on doit les poser sous un arbre le temps de cultiver la terre, et qu’au Pôle Emploi on nous dit que non, les enfants doivent rester à la maison, on ne peut pas se rendre à nos rendez-vous professionnels avec eux, il y a de quoi être désabusé.

Quand on voit que les chiens et les chats européens mangent autant que toute notre famille, qu’ici pour se marier, on a pas besoin de prouver à la belle famille qu’on assure, que la prière, c’est mal vu, que les couleurs sont inexistantes, qu’il est indispensable de connaître quelqu’un pour lui dire bonjour, et que si on salue un inconnu il nous prend pour un fou… Bref, tout ça, ça désoriente un peu non ?

Alors quand j’ouvre mes mails et tombe sur la fiche descriptive du profil de S.,  nouvelle bénéficiaire, et que je lis « Madame porte un voile intégrale, a enseigné en école coranique en Guinée, et a spécifié  vouloir un tuteur de sexe féminin », je me dis en premier… Ouh la galère.

Et puis, avec les jours, je me demande pour qui elle est, cette galère. Au début, je pensais que ce serait pour moi. On bosse dans 3 écoles : la première, institut de relations internationales privé, la seconde : institut catholique, et enfin Dauphine, université publique. Et puis aussi, on est présent dans un Squat, au sein duquel: une association féministe. Dilemme… J’écris aux écoles, la loi est stricte : pas de port du voile intégral dans les lieux publics. J’appelle l’assistante sociale de S. et lui demande comment elle fait au sein des locaux de France terre d’asile. Elle me répond : « on lui demande de découvrir son visage, mais elle porte un masque anti-pollution… Et détourne les yeux lorsqu’un homme passe ». Après quelques minutes de conversation, on réalise que la tâche sera plus difficile que prévue. S. vient d’arriver, elle ne sait pas forcément qu’en France, l’administration est mixte et que l’on ne peut pas choisir le sexe des personnes qui travaillent avec vous.

Bon, je me dis que pour les écoles, c’est mort. Du coup, je tente le squat et demande au contact nous ayant permis de profiter des locaux si S. peut s’y rendre pour apprendre le français. Elle me répond après deux heures : « débat houleux, à priori, certains des occupants refusent sa présence ». J’argue que S. est d’accord pour découvrir son visage. « Dans ce cas, certains changent d’avis et saluent l’effort du retrait du voile».

Tiens, Dauphine également m’appelle pour me préciser que si le visage est découvert il n’y a pas de souci. Bon, ça fait deux établissements, au moins au début, dans lesquels S. ne souffrira pas forcément de la contrainte et pourra librement se cacher, peut-être par tradition, religion, traumatisme, ou finalement par terreur de cette société qui la juge, la regarde, et l’exclue.





jeudi 13 février 2014

« J’ai les papiers »

Au moment où je porte mon déjeuner vers ma bouche, essayant en même temps de faire le tri entre les bénévoles et les contacts presse pour un événement Singa Street Art, mon téléphone sonne.

Je lis « FTDA », France terre d’asile. J’appréhende en pensant à un appel de Géraldine qui va m’annoncer de nouveaux bénéficiaires pour une session de printemps de cours de français bien trop chargée.

« Allo Alice, c’est M. J’ai les papiers ».

Wow.

Je crie, je pleure, je ris, je la félicite.

M. est arrivée il y a deux ans. Atteinte d’une maladie pulmonaire que l’on ne traite pas dans son pays, l’Ethiopie, elle a été soignée en France. Placée en quarantaine à l’hôpital, elle a raté la première convocation à l’OFPRA (Office Français pour la Protection des Réfugiés et des Apatrides).

Elle a heureusement trouvé une place dans un CADA à Paris, géré par France terre d’asile, et son dossier a été pris en charge par l’association. Lorsque l’on est assisté par une association, on a 70% de chances d’obtenir le statut. Mais il reste quand même une incertitude : la peur d’un quota non officiel qui mettrait les ressortissants de son pays dans la liste des « trop présents », la crainte que la non-compréhension du français altère le témoignage, la peur des français, la perte de repère.

M. a été brillante. Il n’y a pas d’autres mots. Je n’étais évidemment pas là lorsqu’elle est passée devant l’officier, mais elle m’a racontée que l’interprète était très gentille, et que quand bien même, elle pouvait tout comprendre.

M. est arrivée chez Singa en février 2013. Elle fait partie des 8 personnes avec qui l’on a commencé le tutorat il y a un an. Je l’ai eu comme élève deux fois, alors que sa professeur, Christiane, était absente. Au départ, elle était très timide, ne riait pas beaucoup et s’exprimait avec difficulté.

Un jour que sa professeur était absente, je lui ai proposé quelqu’un d’autre en remplacement, elle m’a répondu « non, c’est Christiane ou toi, mais personne d’autre. ». On s’en est tenus à ça. Puis, nous lui avons présenté B. une réfugiée éthiopienne aussi. Elles avaient le même niveau d’études, le même âge, les mêmes peurs.

Les deux sont vite devenues amies, et inséparable. Le 21 juin, notre association a organisé pour la Journée Mondiale du Réfugié une soirée conférence de presse, suivie d’un spectacle de l’article Pie Tshibanda, dont le one man show fait fureur en Belgique, lui-même réfugié congolais, racontant avec poigne, tristesse et humour son parcours de l’asile. Les filles sont venues me voir à la fin et M. m’a dit : «  Tu sais, on a pas tout compris, mais au moins, on est pas restées dans notre chambre à pleurer. On pleure tous les jours. On ne connaît personne. Mais la France nous a aidées, accueillies, protégées. La France est notre famille, et Singa c’est nos parents. ».

M. est ensuite venue à chaque événement que nous organisions : pique-niques, sport, cinéma… Elle parlait à tout le monde, aux français, mais aussi aux gens qu’elle croisait dans la rue et qu’elle pensait triste ou dans le besoin. Elle nous a ramené des bénéficiaires pour les cours de français : des réfugiés éthiopiens, comme elle, mais qui ne parlaient pas un mot de français alors qu’ils étaient en France depuis des années, mais que seul leur visa attachait à la culture de ce pays. Elle voulait leur prouver « qu’il ne fallait plus avoir peur ». A chaque fois que je la vois, elle tient quelqu’un par la main, comme pour le guider vers la confiance en lui.

Et pourtant, elle a eu des raisons de perdre confiance en elle. La maladie, la persécution, la solitude, la barrière de la langue… Et aujourd’hui, un visa de 10 ans, mais la difficulté à venir de trouver un emploi déclaré, de reprendre ses études, de se loger (sa place en CADA étant encore assurée pour 6 mois).

Peu importent toutes les galères à venir, je ne pense qu'à ce mot qu’elle m’a appris et aujourd’hui pour une fois, j’ai envie de dire à la France: Ameseguena Law! Merci

  


jeudi 9 janvier 2014

"They didn't tell us anything. They came and simply kicked us out. Like that".



Neuf personnes ont été expulsées ce matin d’un appartement dans lequel ils étaient hébergés par le locataire de l’immeuble. Neuf hommes, huit Bangladais et un Birman, vivant dans l’appartement depuis 6 mois. Ils partageaient le local avec le locataire de l’immeuble qui s’en servait également comme bureau.

Ce dernier est, selon les dires des occupants, actuellement en procès avec le propriétaire de l’appartement et en voyage depuis un mois. Les 9 occupants ne parlent que très peu français, certains étaient journalistes dans leur pays, d’autres avocats. Tous sont demandeurs d’asile, donc en situation régulière sur le territoire français, mais n’ont pas le droit de travailler.

Ce matin, la police est arrivée à 10h au 14 boulevard de la Chapelle. Ils étaient cinq officiers munis de brassards, et accompagnée d’une huissière de justice. Cette dernière leur a notamment demandé de partir, très en colère, précisant « Il est temps que ça s’arrête, on est en France quand même ! ».

Les officiers de police ont poussé les occupants à l’extérieur ainsi que toutes leurs affaires avant de mettre en demeure l’appartement. Les neuf occupants sont maintenant devant la porte, et cherchent une solution de repli pour cette nuit. 

J'étais là à 12h30, attendant pour une visite d'appartement lorsque cela se produisait.

Voyant que les occupants ne parlent que très peu français, et ne comprennent pas ce qui leur arrive, je les interroge. Ils me demandent si je suis journaliste, je réponds que non, veulent que je les aide à appeler la presse ainsi que la police. Je leur réponds que malheureusement, la police est déjà là puisque c'est elle qui les expulse. Ils me rétorquent: " the real police'. Là, l'huissier de justice, une femme en fourrure, m'intime de sortir, précisant que je n'ai rien à faire ici. Je lui dis simplement que je peux peut-être aider ces gens, ne serait-ce qu'à comprendre ce qui leur arrive, elle me répond sèchement, "il n'y a rien à comprendre, cela ne vous regarde pas! Je sais ce que je fais et j'ai pas besoin de vous. Il savent très bien ce qui leur arrive". 

Quelques expulsés me rejoignent devant la porte, et m'informent qu'ils n'ont pas été prévenus à l'avance, me disent qu'ils ont besoin d'au moins une semaine pour s'organiser, trouver autre chose. Toutes leurs affaires (et il y en a un sacré paquet), sont devant la porte. Ils me disent que la police a été gentille, mais ferme, mais que c'est surtout the "lady in fur" qui s'est montrée agressive "and a lot of screaming and discrimination". Ashril et Golam de donnent leurs numéros. "If you can help us... We don't know what to do, it is winter...." En pleine trêve hivernale, et bien que probablement notifiée par courrier (la lettre n'ayant probablement jamais été ouverte, le locataire en charge étant à l'étranger, les expulsés ne parlant pas français), l'expulsion est une violence de plus au parcours de combattant de ces requérants à l'asile.

Et ce soir, il y aura 9 paumés de plus, errant dans les rues du 19ème arrondissement.

A moins que... cette histoire soit relayée? Oui, avec un peu de chance, un avocat, une ONG, une influence puisse les aider à trouver une solution d'urgence? Tous connaissent la musique du 115 par coeur, peut-être est-il temps de changer leur répertoire de culture musicale française?