Au moment où je porte mon déjeuner vers ma bouche,
essayant en même temps de faire le tri entre les bénévoles et les contacts
presse pour un événement Singa Street Art, mon téléphone sonne.
Je lis « FTDA », France terre
d’asile. J’appréhende en pensant à un appel de Géraldine qui va m’annoncer de
nouveaux bénéficiaires pour une session de printemps de cours de français bien
trop chargée.
« Allo Alice, c’est M. J’ai les
papiers ».
Wow.
Je crie, je pleure, je ris, je la félicite.
M. est arrivée il y a deux ans. Atteinte d’une
maladie pulmonaire que l’on ne traite pas dans son pays, l’Ethiopie, elle a été
soignée en France. Placée en quarantaine à l’hôpital, elle a raté la première
convocation à l’OFPRA (Office Français pour la Protection des Réfugiés et des
Apatrides).
Elle a heureusement trouvé une place dans un
CADA à Paris, géré par France terre d’asile, et son dossier a été pris en
charge par l’association. Lorsque l’on est assisté par une association, on a
70% de chances d’obtenir le statut. Mais il reste quand même une
incertitude : la peur d’un quota non officiel qui mettrait les ressortissants
de son pays dans la liste des « trop présents », la crainte que la
non-compréhension du français altère le témoignage, la peur des français, la
perte de repère.
M. a été brillante. Il n’y a pas d’autres
mots. Je n’étais évidemment pas là lorsqu’elle est passée devant l’officier,
mais elle m’a racontée que l’interprète était très gentille, et que quand bien
même, elle pouvait tout comprendre.
M. est arrivée chez Singa en février 2013.
Elle fait partie des 8 personnes avec qui l’on a commencé le tutorat il y a un
an. Je l’ai eu comme élève deux fois, alors que sa professeur, Christiane,
était absente. Au départ, elle était très timide, ne riait pas beaucoup et
s’exprimait avec difficulté.
Un jour que sa professeur était absente, je
lui ai proposé quelqu’un d’autre en remplacement, elle m’a répondu « non,
c’est Christiane ou toi, mais personne d’autre. ». On s’en est tenus à ça.
Puis, nous lui avons présenté B. une réfugiée éthiopienne aussi. Elles
avaient le même niveau d’études, le même âge, les mêmes peurs.
Les deux sont vite devenues amies, et
inséparable. Le 21 juin, notre association a organisé pour la Journée Mondiale
du Réfugié une soirée conférence de presse, suivie d’un spectacle de l’article
Pie Tshibanda, dont le one man show fait fureur en Belgique, lui-même réfugié
congolais, racontant avec poigne, tristesse et humour son parcours de l’asile.
Les filles sont venues me voir à la fin et M. m’a dit : « Tu sais,
on a pas tout compris, mais au moins, on est pas restées dans notre chambre à
pleurer. On pleure tous les jours. On ne connaît personne. Mais la France nous
a aidées, accueillies, protégées. La France est notre famille, et Singa c’est
nos parents. ».
M. est ensuite venue à chaque événement que
nous organisions : pique-niques, sport, cinéma… Elle parlait à tout le
monde, aux français, mais aussi aux gens qu’elle croisait dans la rue et
qu’elle pensait triste ou dans le besoin. Elle nous a ramené des bénéficiaires
pour les cours de français : des réfugiés éthiopiens, comme elle, mais qui
ne parlaient pas un mot de français alors qu’ils étaient en France depuis des
années, mais que seul leur visa attachait à la culture de ce pays. Elle voulait
leur prouver « qu’il ne fallait plus avoir peur ». A chaque
fois que je la vois, elle tient quelqu’un par la main, comme pour le guider
vers la confiance en lui.
Et pourtant, elle a eu des raisons de perdre
confiance en elle. La maladie, la persécution, la solitude, la barrière de la
langue… Et aujourd’hui, un visa de 10 ans, mais la difficulté à venir de
trouver un emploi déclaré, de reprendre ses études, de se loger (sa place en
CADA étant encore assurée pour 6 mois).
Peu importent toutes les galères à venir, je
ne pense qu'à ce mot qu’elle m’a appris et aujourd’hui pour une fois, j’ai envie de dire
à la France: Ameseguena Law! Merci