jeudi 13 février 2014

« J’ai les papiers »

Au moment où je porte mon déjeuner vers ma bouche, essayant en même temps de faire le tri entre les bénévoles et les contacts presse pour un événement Singa Street Art, mon téléphone sonne.

Je lis « FTDA », France terre d’asile. J’appréhende en pensant à un appel de Géraldine qui va m’annoncer de nouveaux bénéficiaires pour une session de printemps de cours de français bien trop chargée.

« Allo Alice, c’est M. J’ai les papiers ».

Wow.

Je crie, je pleure, je ris, je la félicite.

M. est arrivée il y a deux ans. Atteinte d’une maladie pulmonaire que l’on ne traite pas dans son pays, l’Ethiopie, elle a été soignée en France. Placée en quarantaine à l’hôpital, elle a raté la première convocation à l’OFPRA (Office Français pour la Protection des Réfugiés et des Apatrides).

Elle a heureusement trouvé une place dans un CADA à Paris, géré par France terre d’asile, et son dossier a été pris en charge par l’association. Lorsque l’on est assisté par une association, on a 70% de chances d’obtenir le statut. Mais il reste quand même une incertitude : la peur d’un quota non officiel qui mettrait les ressortissants de son pays dans la liste des « trop présents », la crainte que la non-compréhension du français altère le témoignage, la peur des français, la perte de repère.

M. a été brillante. Il n’y a pas d’autres mots. Je n’étais évidemment pas là lorsqu’elle est passée devant l’officier, mais elle m’a racontée que l’interprète était très gentille, et que quand bien même, elle pouvait tout comprendre.

M. est arrivée chez Singa en février 2013. Elle fait partie des 8 personnes avec qui l’on a commencé le tutorat il y a un an. Je l’ai eu comme élève deux fois, alors que sa professeur, Christiane, était absente. Au départ, elle était très timide, ne riait pas beaucoup et s’exprimait avec difficulté.

Un jour que sa professeur était absente, je lui ai proposé quelqu’un d’autre en remplacement, elle m’a répondu « non, c’est Christiane ou toi, mais personne d’autre. ». On s’en est tenus à ça. Puis, nous lui avons présenté B. une réfugiée éthiopienne aussi. Elles avaient le même niveau d’études, le même âge, les mêmes peurs.

Les deux sont vite devenues amies, et inséparable. Le 21 juin, notre association a organisé pour la Journée Mondiale du Réfugié une soirée conférence de presse, suivie d’un spectacle de l’article Pie Tshibanda, dont le one man show fait fureur en Belgique, lui-même réfugié congolais, racontant avec poigne, tristesse et humour son parcours de l’asile. Les filles sont venues me voir à la fin et M. m’a dit : «  Tu sais, on a pas tout compris, mais au moins, on est pas restées dans notre chambre à pleurer. On pleure tous les jours. On ne connaît personne. Mais la France nous a aidées, accueillies, protégées. La France est notre famille, et Singa c’est nos parents. ».

M. est ensuite venue à chaque événement que nous organisions : pique-niques, sport, cinéma… Elle parlait à tout le monde, aux français, mais aussi aux gens qu’elle croisait dans la rue et qu’elle pensait triste ou dans le besoin. Elle nous a ramené des bénéficiaires pour les cours de français : des réfugiés éthiopiens, comme elle, mais qui ne parlaient pas un mot de français alors qu’ils étaient en France depuis des années, mais que seul leur visa attachait à la culture de ce pays. Elle voulait leur prouver « qu’il ne fallait plus avoir peur ». A chaque fois que je la vois, elle tient quelqu’un par la main, comme pour le guider vers la confiance en lui.

Et pourtant, elle a eu des raisons de perdre confiance en elle. La maladie, la persécution, la solitude, la barrière de la langue… Et aujourd’hui, un visa de 10 ans, mais la difficulté à venir de trouver un emploi déclaré, de reprendre ses études, de se loger (sa place en CADA étant encore assurée pour 6 mois).

Peu importent toutes les galères à venir, je ne pense qu'à ce mot qu’elle m’a appris et aujourd’hui pour une fois, j’ai envie de dire à la France: Ameseguena Law! Merci