Je
vais essayer de raconter cette histoire sans trop perdre de son essence, bien
qu’il soit très difficile de retransmettre ce type de témoignage avec respect
et discrétion.
L. a
17 ans. Enfin, plutôt, il a 14 ans depuis trois ans. Depuis ce jour où, à
Bamako, une faction armée du chef Abu Dabi a pénétré sa maison. Plusieurs
soldats armés de mitraillettes ont tiré sur tout ce qu’ILS voyaient. Tous ceux
qu’ILS voyaient. C’est ainsi que la mère de L. a perdu la vie, avec elle ses
sœurs, dont une n’avait que quelques mois. L. a couru, sans s’arrêter. Il a
couru dans Bamako, il a couru au nord, il a couru au Cameroun, il a couru au
Maroc, il a couru Gare du Nord.
Ca
lui a pris trois ans. Trois ans de course, avec un pantalon et un T-shirt. Un
acte de naissance, des baskets, un téléphone et un chargeur, un compte
Facebook, un compte Twitter, et la maîtrise du français après sept ans à
l’école.
Et
puis la Gare du Nord : « Allez, sors de la soute. Tu vois ici, c’est
Paris, tu y es. Il y’a beaucoup de monde, tu vas trouver des gens qui vont
t’aider. Je reviens souvent ici, tu sais où me trouver, tu sais qu’il faut me
donner de l’argent maintenant. Alors, cherche du travail, viens me voir quand
tu en as. »
Marx
Dormoy, Porte de la Villette, Stalingrad, Barbes-Rochechouard, Reuilly Diderot…
L. a découvert Paris, mais pas celui des amoureux ou des touristes. Il a
d’abord compris qu’il lui fallait une boite postale. Après, il a compris que le
métro pouvait l’abriter en ce difficile mois de janvier. Une autre chose qu’il
a très vite comprise est que les flics allaient le laisser tranquille : on
expulse pas les mineurs en France. Sauf s’ils n’ont pas de preuve qu’ils sont
mineurs bien sûr. (En général on vérifie leur « âge » avec des tests
osseux, tests réputés pour être fiables à deux ou trois ans près).
Et
un jour il a croisé un type qui lui a dit d’aller voir par là bas, que
peut-être quelqu’un pouvait l’aider. Ca faisait trois mois qu’il errait dans
Paris quand il a pris rendez-vous avec une association. Il a raconté son
histoire, il a raconté Bamako, il a raconté ce que nous voyons peu à la
télévision. Lui suit l’actualité sur
Internet, il raconte qu’il savait que non, ce n’était pas la paix là-bas, que
non, ILS n’étaient pas partis, que des milliers de personnes étaient condamnées
à rester enfermées chez elles, avec pour seul bruit le chant de la prière
lorsqu’ILS l’exigeaient. Que personne n’avait le droit de jouer de la musique.
Que personne n’avait le droit de sortir. Que personne n’avait le droit de
s’exprimer, de s’aimer, de marcher, de courir, de jouer. Que les ballons de
football étaient imaginaires, que les mariages étaient forcés et que les
enfants n’en seraient jamais plus.
« Mais
tu sais, ma mère, elle était très belle. Ils l’ont enlevée à moi, mais elle me
visite encore dans mes songes. Elle me dit que je vais trouver une femme, que
je vais m’en sortir, que je serai heureux. Tu sais, parce que je suis un homme,
ça va aller. Je peux m’en sortir, et je raconterai tout aux français, et ils me
donneront asile. Et je pourrai faire des études en France. Et s’ILS partent, je
rentrerai chez moi, je retrouverai mes sœurs, et je pourrai avoir un bon
travail. ».
Inch'Allah.
Inch'Allah.