lundi 27 avril 2015

Inch’Allah.

Je vais essayer de raconter cette histoire sans trop perdre de son essence, bien qu’il soit très difficile de retransmettre ce type de témoignage avec respect et discrétion.

L. a 17 ans. Enfin, plutôt, il a 14 ans depuis trois ans. Depuis ce jour où, à Bamako, une faction armée du chef Abu Dabi a pénétré sa maison. Plusieurs soldats armés de mitraillettes ont tiré sur tout ce qu’ILS voyaient. Tous ceux qu’ILS voyaient. C’est ainsi que la mère de L. a perdu la vie, avec elle ses sœurs, dont une n’avait que quelques mois. L. a couru, sans s’arrêter. Il a couru dans Bamako, il a couru au nord, il a couru au Cameroun, il a couru au Maroc, il a couru Gare du Nord.

Ca lui a pris trois ans. Trois ans de course, avec un pantalon et un T-shirt. Un acte de naissance, des baskets, un téléphone et un chargeur, un compte Facebook, un compte Twitter, et la maîtrise du français après sept ans à l’école.

Et puis la Gare du Nord : « Allez, sors de la soute. Tu vois ici, c’est Paris, tu y es. Il y’a beaucoup de monde, tu vas trouver des gens qui vont t’aider. Je reviens souvent ici, tu sais où me trouver, tu sais qu’il faut me donner de l’argent maintenant. Alors, cherche du travail, viens me voir quand tu en as. »

Marx Dormoy, Porte de la Villette, Stalingrad, Barbes-Rochechouard, Reuilly Diderot… L. a découvert Paris, mais pas celui des amoureux ou des touristes. Il a d’abord compris qu’il lui fallait une boite postale. Après, il a compris que le métro pouvait l’abriter en ce difficile mois de janvier. Une autre chose qu’il a très vite comprise est que les flics allaient le laisser tranquille : on expulse pas les mineurs en France. Sauf s’ils n’ont pas de preuve qu’ils sont mineurs bien sûr. (En général on vérifie leur « âge » avec des tests osseux, tests réputés pour être fiables à deux ou trois ans près).

Et un jour il a croisé un type qui lui a dit d’aller voir par là bas, que peut-être quelqu’un pouvait l’aider. Ca faisait trois mois qu’il errait dans Paris quand il a pris rendez-vous avec une association. Il a raconté son histoire, il a raconté Bamako, il a raconté ce que nous voyons peu à la télévision.  Lui suit l’actualité sur Internet, il raconte qu’il savait que non, ce n’était pas la paix là-bas, que non, ILS n’étaient pas partis, que des milliers de personnes étaient condamnées à rester enfermées chez elles, avec pour seul bruit le chant de la prière lorsqu’ILS l’exigeaient. Que personne n’avait le droit de jouer de la musique. Que personne n’avait le droit de sortir. Que personne n’avait le droit de s’exprimer, de s’aimer, de marcher, de courir, de jouer. Que les ballons de football étaient imaginaires, que les mariages étaient forcés et que les enfants n’en seraient jamais plus.

« Mais tu sais, ma mère, elle était très belle. Ils l’ont enlevée à moi, mais elle me visite encore dans mes songes. Elle me dit que je vais trouver une femme, que je vais m’en sortir, que je serai heureux. Tu sais, parce que je suis un homme, ça va aller. Je peux m’en sortir, et je raconterai tout aux français, et ils me donneront asile. Et je pourrai faire des études en France. Et s’ILS partent, je rentrerai chez moi, je retrouverai mes sœurs, et je pourrai avoir un bon travail. ».

Inch'Allah.