vendredi 16 janvier 2015

Les boas ouverts, les boas fermés et les grandes personnes impassibles (titre non contractuel)


"Hey mec, tu serais partant pour pour aller boire un verre après le boulot? Il y'aura Carrie, me vend-il l'évènement, et Sewandi, Graham, Christina, rajoute-t-il. 

Je le regarde, Tim est un mannequin Abercombie & Fitch ou Ralph Lauren. Un grand et beau gaillard qu'on a l'impression d'avoir vu sur mille affiches ou dans mille films. Un type énervant. Il a en plus l'assurance verbale - intelligence et sobriété- d'un enfant de la classe populaire s'étant hissé dans une grande université. Un type très énervant. 

- Avec plaisir, j'acquièsce. 
- Cool! (...)

Il s'apprêt à passer son chemin puis il rajoute:
- C'est histoire d'oublier toute cette merde, tu vois. 

Je vois parfaitement. Toute cette merde, ce sont les récits que nous entendons quotidiennement. Les récits effroyables du départ, de l'exil, et pire encore car plus proche, l'accueil exécrable que nous réservons aux exilés. 

Tim a passé l'après-midi avec un demandeur d'asile indien qui, après des mois de procédure, n'ayant plus aucune nouvelle de ses proches, a menacé de se suicider dans le bureau si nous n'obtenions pas un visa pour lui dans la journée. Que faire? Le chantage est malheureusement une stratégie avec laquelle nous sommes devenus coutumiers. Certains demandeurs d'asile ne font pas la différence entre les associations, le département d'immigration, les services judiciaires, sociaux et le Tribunal.Tout est institutions, plus ou moins aimable. Alors, on est souvent confronté à la question du pourquoi. Pourquoi on me traite ainsi. Pourquoi vous laissez faire ça? Pourquoi vous ne m'aidez pas? Pourquoi ne me donnez-vous pas un visa? Comment justifier le fonctionnement de nos institutions quand elles enferment pendant un, deux, voire trois ans des hommes et des femmes qui ont quitté leur pays pour ne pas mourrir, être torturés ou enfermés? Impossible.

Alors on fait autrement. On sourit bêtement sur l'instant, et puis on va boire, beaucoup, pour oublier toute cette merde."

Les histoires se témoignent mais comment témoigner d'une histoire? Frissons et amertume sont les sentiments qu'ils nous restent aussi. On est ébranlés, nous les vierges de terreur. Et eux aussi, ceux qui en ont été dépucelés il y'a longtemps. Nous on boit. Eux ils tiennent. 

Je ne suis pas douée en hommage mais comment ne pas en faire un à tous ces héros combattants d'abord, qui se battent au péril de leurs vies pour la liberté d'expression, et héros ordinaires ensuite qui se battent pour leur protection? Cet extrait du livre de Guillaume Capelle, c'est un peu de nous tous. Fermer les yeux, boire un verre, marcher tête basse, croiser des cheveux sur la soupe, des indésirables, et faire de son mieux. Et quand le mieux se transforme en génial, tout doucement, sans que l'on s'en aperçoive, on réalise que finalement, les héros, c'est aussi nous.

NB: Guillaume Capelle passe sa jeunesse en Bretagne, à Rennes, où il agit bénévolement comme fils prodigue et frère dévoué d’une famille de trois garçons. Installé plus tard à Paris, il étudie les relations internationales et découvre le monde du travail en s’initiant « logiquement » à l’agroalimentaire, à la presse people et aux services généraux…Puis un jour, son Master en poche, il part en Australie pour perfectionner son anglais et, accessoirement, travailler chez Amnesty International. Là-bas, il trouve un sens à sa vie professionnelle. De retour en France en 2012, il crée CapEthic, un cabinet de conseil en communication avec lequel il sillonne les quartiers populaires européens, et co-fonde SINGA, une ONG mobilisant la société autour des projets de personnes réfugiées. Puis il écrit ce livre brillant, drôle et puissant, qui devrait reposer sur la table de nuit de tous les héros en puissance. 
NB2: Désolée Guillaume, je sais que ce n'est pas le genre d'article que tu espérais, mais que veux-tu, chacun sa vision du boa.