C’est l’histoire
d’un mec. Ou plutôt c’est l’histoire d’une découverte. Un peu comme la
serendipicité, quand on cherche quelque chose et que l’on trouve autre chose.
C’est une asso qui débute, qui est encore bébé et qui rencontre ce mec. Ce mec,
il est noir, anglophone, et il vient tout juste d’obtenir un statut de
protection de la part de la France qui lui permet de vivre sans menace ni
persécutions. On est en février 2013, il caille et trois jeunes naifs se sont
mis en tête de changer le monde. Je fais partie de ces trois là. Je rencontre
F.
F. suit des cours
en tutorat, j’organise ces cours. Mais il ne progresse pas. Rien à faire, le
cœur n’y est pas. Après quatre ou cinq cours, sa tutrice me dit qu’il n’est pas
rigoureux, pas sérieux, n’apprend pas… F. est triste, il sent bien qu’il n’y arrive pas. On lui demande, en
anglais :
-
Pourquoi ça ne marche pas ?
-
J’ai eu un entretien ce
matin avec Pôle Emploi. Ils m’ont proposé un travail de mise en rayon… Encore.
Je ne parle bien assez bien français, et de toute façon en France, je ne
pourrai jamais exercer mon métier, ce pour quoi j’ai étudié…
-
Et qu’as-tu étudié ?
-
Je suis diplômé d’Oxford en
comptabilité. Dans mon pays, j’ai pris l’initiative d’organiser la construction
de cliniques infantiles, pour combattre la culture vaudou qui incite les femmes à
se priver de soins médicaux pour les accouchements, j’ai travaillé en
partenariat avec l’UNICEF, et je travaillais aussi comme expert comptable de
mon côté.
Et bam. Je comprends sa détresse. F. est seul,
loin de sa famille, de ses repères, et professionnellement inutile. Il ne lui
reste que ce cours de français où il peine à apprendre le passé composé.
« Si tu parles français, tu pourras
passer des entretiens pour être comptable ici aussi. Si on te trouve un stage,
tu penses que tu peux y arriver ?
-
Oui je vais tout faire pour.
Trois mois plus tard, il fait meilleur et F.
est comptable. C’est difficile, les logiciels français ne sont pas les mêmes
que les logiciels anglo-saxons, mais il est heureux. F. retrouve le sourire, il
fait ce qu’il aime. Et les trois jeunes
naifs ont compris que c’est en révélant le potentiel et le talent des gens qu’ils
vont s’épanouir, contribuer, collaborer et enrichir le monde. Il essayent.
Malgré la solitude, malgré les remarques
racistes de ses collègues, malgré les drames qui ont pavé sa vie, à chaque fois
que je vois F. il sourit. C’est déjà ça.