jeudi 13 août 2015

Comme dirait l'autre : " Pour vivre, il ne suffit pas d'être vivant"



Travailler dans le secteur de l’asile permet de maîtriser des compétences de gestion des émotions et d’humilité que je n’aurais pas cru pouvoir acquérir un jour. Or, il s’avère qu’en plus de l’acquisition de ces compétences, je gère encore un peu de fierté. Comment ne pas le faire lorsque l’on entend des histoires complétement folles, inhumaines, ou encore pleines d’espoir ?

« Malgré ses séquelles liées à 7 ans de tortures et d’emprisonnement, R. n’a pas obtenu le statut de personne handicapée en France. Pourtant, il est sourd et son cœur est très touché. » J’en reviens pas d’avoir écrit cette phrase là aujourd’hui, et que ce soit le genre de phrase qui ne surprend plus tant que ça. 

Je viens de rencontrer R. Il est très connu, il a même une page Wikipedia, et de nombreuses interviews sur la BBC, Libération… etc. Arrivé en il y'a 4 ans, après avoir fui l’Iran à pied, sa famille et lui ont obtenu un titre de séjour en France, en qualité de réfugiés. A ce jour, R. travaille beaucoup, dans l’ombre de Paris, entouré de ses amis. « Je voudrais tant retourner en Iran. Mais tant que les Mollah dirigent le pays, ce n’est pas possible. Beaucoup de mes amis ont été décapité par le régime ; il  ne nous est pas possible de rentrer sans subir le même sort. Alors je continue mon travail de journaliste et d’écrivain en attendant. »

J’ai connu R. grâce à une autre militante, qui m’a offert de délicieux gâteaux lors de notre dernière rencontre, dans un café sur les Quais de Seine. 

M. vient d’Iran. Elle exerçait en tant que journaliste. Elle a fait partie des premières personnes à arriver à Singa. Au début, il nous était difficile de la cerner. Et aujourd’hui encore. Sauf qu’il y’a deux ans et demi, M. ne parlait pas un mot de français, et à peine un peu d’anglais. Cela a pris deux ans de plus pour qu’elle arrive à maîtriser notre langue (niveau A2 pour les amateurs de FLE).

« Quand je suis arrivée, et que j’ai obtenu mon titre de séjour, j’étais seule. Je ne comprenais rien. Le métro, les associations… Je ne pouvais rien exprimer. Et puis, trop souvent, j’apprenais la mort de mes amis. Ils étaient pendus, les uns après les autres. Ils avaient trop parlé, trop exigé de l’Etat. J’ai toujours été engagée, mais j’ai du fuir avec toutes ces arrestations, toutes ces condamnations.

Aujourd’hui, je suis en train d’écrire la biographie d’ Hassan Yusefi Eshkevarit. Il était Mollah. Un jour, il a déclaré que les femmes n’étaient pas obligées de porter le Hijab, que rien dans le Coran ne les y obligeait. Il a été arrêté et a passé cinq ans en prison. Mais pas n’importe laquelle. En Iran, il y’a une prison pour les Mollah. C’est pire qu’une prison normale. Alors il a été torturé, souvent. Aujourd’hui, il n’est plus Mollah. Il vit à Berlin, et nous travaillons sur ses mémoires. Le livre sera publié dans deux mois en persan. »

J’aimerais tellement lire les livres de M. Je croise les doigts pour que nous trouvions un traducteur qui lui permettrait d’être publiée en français. Mais même en persan, je sais que ses ouvrages pourront, clandestinement, être lus dans son pays.

« Quand je suis arrivée, j’étais perdu, seule. Je voulais mourir. Aujourd’hui, tout a changé, grâce à vous. Vous avez changé ma vie. Je suis vivante. Je n’aurais pas cru cela possible. »


Ca, ça ne veut pas dire que Singa y est pour quelque chose. Ca veut dire que M. a cette capacité de résilience que noue retrouvons chaque jour, dans chaque regard. On me pose toujours la question de savoir si ce n’est « pas trop dur ». Comment voulez-vous que ça le soit avec tellement d'espoir?