lundi 30 décembre 2013

« Vous n’avez pas le profil, désolé ».



Ce matin là, j’arrivais (encore) en retard à la Ruche, espace de co-working de l’innovation sociale parisien. J’ai toujours adoré y travailler. Les bureaux sont mitoyens du Comptoir Général, bar qui se surnomme également « le petit musée de la Françafrique ». Dans ce bar, on trouve des photos de dictateurs africains, des arbres poussent dans les locaux, on boit du jus de bissap et y regarde des expositions photos d’Omar Ly. Dans la Ruche, on butine et on buzz autour du développement durable, de l’achat solidaire, de l’investissement responsable bref le cœur de l’entrepreneuriat social et solidaire. C’est là que SINGA a ses locaux. C’est là que je me sens chez moi.

A peine arrivée je rencontre S. C’est son mari qui m’avait parlé d’elle. Il fait partie des bénéficiaires des cours de français en tutorat de SINGA, programme dont je m’occupe et qui vise à mettre en contact une heure et demi par semaine des tuteurs bénévoles français avec des réfugiés ayant besoin d’apprendre la langue de leur pays d’accueil mais aussi, et souvent surtout de rencontrer des gens de cette société inconnue, de reprendre confiance en eux, et de découvrir les subtilités des codes socio-culturels.

Le mari de S. m’avait été envoyé par le Centre d’Accueil pour Demandeurs d’Asile de Créteil. Dans la fiche de liaison était indiqué «  a besoin de prendre confiance en lui ». Lors de ma rencontre avec ce dernier, c’était son sourire résigné qui m’avait frappée. Au téléphone, il ne me répondait que des « OK » évasifs et dans la réalité j’avais face à moi un homme discret et qui m’avait avoué en baissant les yeux « I have a master degree in economics ». A Dhaka, il gérait une entreprise d’import-export, et était arrivé en France en 2012 avec sa femme et ses deux enfants.

Il m’avait un peu parlé de sa femme, expliquant brièvement qu’elle avait un « master degree » et un MBA. Sa tutrice et moi étions impressionnées, mais apparemment S. ne souhaitait pas prendre de cours de français avec SINGA car elle en suivait déjà intensivement à Créteil.  Néanmoins, elle me contacta par téléphone quelques semaines plus tard :
-       Yes, oui, c’est Madame S. Mon mari a dit que je pouvais vous contacter si j’avais un problème.
-       Oui madame, mais tout dépend, il faut m’expliquer d’abord la nature du problème.
-       Pas par téléphone. Je peux vous voir ?

Nous convenons donc d’un rendez-vous, le lendemain.

C’est donc ce matin là que j’arrive en retard. S. est déjà là, devant mon bureau, je lui serre la main, et la présente à Nathanaël, directeur de l’association. Nous nous dirigeons vers le Comptoir Général pour discuter. Nous allons là-bas d’une part faute de salle de réunion libre à la Ruche, mais d’autre part surtout parce que nous  recevons parfois les réfugiés bénéficiaires de nos programmes dans ce café atypique. Disons que ça change des bureaux et salles d’entretiens de l’OFPRA. Surtout sachant que notre mission est de favoriser l’intégration socio-économique des réfugiés, le champ d’application est large et parfois un simple entretien, un sourire et un café peuvent aider une personne à reprendre confiance en elle et avoir l’idée de créer de nouveaux projets

Bref, nous nous asseyons et S. nous parle, un peu en français, un peu en anglais, pour nous expliquer son histoire. Leur histoire. Dhaka, son travail en zone rurale, dans des cliniques de maternité, les ONG, favoriser le développement local, créer et développer des projets pour développer l’éducation à la santé, l’éducation et l’hygiène pour les enfants des slums des alentours de la capitale bengali. Puis l’arrivée en France, avec son bébé de 18 mois aujourd’hui et son fils de 8 ans. Son mari qui ne trouve pas de travail, et elle qui a brièvement fait une formation de rouleuse de sushi (y-t-il un autre nom pour ce métier ?). Entre deux larmes, elle nous dit qu’elle veut déménager, que dans le HLM qui leur a été attribué, il y a trop de puces et que ses enfants en sont couverts. Elle me dit aussi qu’elle prend des cours de français auprès de son fils qui parle déjà bien, que ce qui lui manque le plus, c’est le terrain, le contact avec les gens. Que finalement, elle réalise que ces gens qu’elle aidait au pays, lorsqu’elle était chef de projet humanitaire, ces gens, aujourd’hui, c’est elle et sa famille.

Sa requête ?

Elle me demande de contacter un institut de formation au métier de mise en rayon afin de leur demander si son dossier a été accepté car elle espère depuis maintenant 3 semaines pouvoir trouver une formation gratuite professionnalisante.

En partant, et avec un sourire timide, elle me laisse son cv ainsi que les coordonnés de l’institut, que je contacte aussitôt.

« Elle n’a pas le profil. Désolé ».

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