dimanche 6 septembre 2015

Conseils aux journalistes qui découvrent les réfugiés


A la rentrée, beaucoup ont parlé des « migrants », des « réfugiés » avec les « invasions » en Hongrie, à nos portes, toussa. Et puis il y’a eu LA PHOTO. Oui, un enfant d’à peine deux ans face contre terre, mort sur une plage. Comme des milliers chaque jour dans le monde. C’est vrai, grâce à cet enfant, beaucoup de citoyens se sont décidés à s’impliquer pour améliorer un accueil trop dégradé et oublié.

Au bureau de Singa, nous avons reçu des milliers de proposition d'hébergement... On était très excités. Imaginez ! Des centaines de messages enthousiasmant chaque jour ! Des milliers de français prêts à contribuer, à rencontrer, à nous rejoindre pour un impact global, un travail de fond, pour et avec des réfugiés statutaires. On a passé la semaine à faire des interviews, gérer les mails, répondre au téléphone.

On ? C’est qui on ? On, c’est des hommes et des femmes passionnés, persuadés que le mot réfugié utilisé tel qu’il l’est actuellement ne fait qu’accroitre les disparités sociales. Des gens de tous les horizons et tous les pays qui veulent faire réaliser à tous que l’asile, c’est un droit fondamental, un moment de reconstruction après la perte de tous ses repères, et surtout un nouveau futur, l’opportunité de créer, de s’épanouir, de se reconstuire.

On a appris à vous connaître et c’est devenu encore plus difficile. En tant qu’entrepreneur, on a du se battre contre nos amis, parfois notre famille, contre des trolls, des crétins ou des désinformés, mais jamais contre les médias ! On a toujours couru après !

Et maintenant que j’en ai fait l’expérience, je réalise que pour certains d’entre vous, vos questions sont répugnantes.

La première et la plus légendaire :

« Pourquoi êtes-vous réfugié ? »

Vous ne vous rendez pas compte de l’impact qu’une telle question peut avoir sur votre interlocuteur ? Vous aimeriez que l’on vous demande comment vous auriez ressenti l’amputation de vos testicules et d’avoir vu votre agresseur les manger en face de vous ? Parce oui, c’est une réalité. Une réalité vécue par certains réfugiés. D’autres ont passé 5 ans ou plus en prison, néons à fond, ongles arrachés, et petit déjeuner à la ratonnade. Imaginez une seconde, une toute petite seconde comment vous vous sentiriez après avoir vécu tout ça ? Merdique ? Oui, ce serait normal. Alors imaginez que vous arrivez à vous en sortir. Que vous recommenciez petit à petit une nouvelle vie. Ca prend des années la reconstruction. Et au bout de ces années, tout va bien, vous êtes enfin redevenu quelqu’un, et là, un crétin à raie sur le côté vous demande caméra braquée sur vous de vous justifier d’avoir l’honneur de bénéficier de son attention.
Vous réalisez un peu mieux ? Ca rentre ?
Alors au delà de tout ça, imaginons, vous n’avez pas vécu tout cela, vous n’avez pas traversé l’enfer, vous vous êtes simplement senti en danger dans votre propre pays, avez reçu des menaces, et vous préférez partir, car vous savez que le danger est réel. Donc pas forcément un trauma grave. Vous arrivez en France et pendant deux ans, vous attendez. Vous attendez, sans avoir le droit de travailler. Vous passez devant des assistants sociaux, des agents de la prefecture, des officiers de l’OFPRA, des juges de la CNDA, le personnel de l’OFII… Et ENFIN, vous avez le droit d’asile, la France vous protège. Il aura fallu des années de justification avant d’en arriver là, se justifier, détail par détail, prouver que vous n’êtes pas un envahisseur, un islamiste, un profiteur, un voleur, et continuer d’entendre à longueur de journée dans la rue, les médias, les réseaux sociaux, que vous en êtes un… Et vous retrouver face à ce même crétin à raie sur le côté qui insiste pour que vous le rassuriez, lui et son public, que vous faites partie des « vrais », des « bons ».

Et encore, vous ne rassurerez jamais ceux qui refusent de l’être.

Alors un conseil : quand vous questionnez un réfugié, parlez-lui du futur. De sa nouvelle vie. Eventuellement de comment il parvient à se reconstruire, sa capacité de résilience.

Autre question : « Qui êtes-vous ? Qu’avez-vous fait dans votre pays? Quel est votre parcours ? »

Je ne sais pas si l’idée vous effleure l’esprit, mais les réfugiés sont des personnes qui sont ENCORE en danger. S’ils sont partis, leur famille ne l’est pas forcément. Elle aussi est en danger. Alors, peut-être qu’un jour, enfin, vous respecterez cette intimité. Lorsque l’on vous demande de conserver l’anonymat de quelqu’un, ce n’est pas juste modifier son prénom ou son nom. C’est sa vie entière qui l’expose. Sa nationalité. Son métier. Cela arrive, oui des réfugiés sont régulièrement assassinés. Par les services secrets de leur pays d'origine, par des mercenaires, des fanatiques. Et il est déjà arrivé que ces meurtres soient liés à l’inattention des journalistes. Et en quelques jours seulement, certains ont été traumatisés par vos questions, et préfèrent le silence, la rue, la solitude, par manque de confiance envers cette société qui les juge.

Aidez-nous à montrer combien être réfugié, c’est être un humain, un héros et ne vous laissez pas devenir un tortionnaire supplémentaire. 


PS : Ne ratez pas mon futur article sur « Conseils aux trolls, racistes, nationalistes et éclaircissement sur pourquoi je suis une « sale blanche traitre à la Nation »

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